Les brevets et les logiciels, mode d'emploi

Je suis un professionnel des brevets, je fus un "Conseil en Propriété Industrielle", tant redouté par la communauté des logiciels libres (je n'ai plus droit à ce titre, car je travaille maintenant en entreprise). Electronicien de formation (et donc un peu informaticien sur les bords), j'ai travaillé à maintes reprises sur des brevets de logiciel (brevet de logiciel, je vous prie, comme brevet de mécanique).

Mais, aussi bizarre que cela puisse paraître, je suis un grand adepte des logiciels libres. J'essaie de les introduire partout où je passe... il y a désormais un serveur intranet pour le département brevets de mon entreprise tournant sous Linux, et pareillement dans la précédente entreprise où j'ai travaillé. Je suis par ailleurs un membre actif de la Guilde (la LUG de Grenoble), où je participe aux install-parties, et apporte volontiers mon PC pour faire des démonstrations (ma spécialité : les jeux 3D sous Linux).

Je trouve dommage que les logiciels libres soient importunés par les brevets et je souhaiterais que l'on puisse trouver une solution de coexistence.

Ai-je un peu dissipé la méfiance à mon égard ?

Bien, mon but ici est de donner quelques notions sur les brevets et sur l'état de la loi en Europe pour mieux armer les opposants aux brevets de logiciel. En effet, la plupart des actions que j'ai pu observer de la communauté des logiciels libres sont fort mal argumentées, car elles sont fondées sur des bases erronées. Mais je pense qu'il y a des problèmes intéressants qui méritent d'être soulevés et pris en compte par le législateur. Voici donc quelques bases. Je n'aborderai pas le problème des brevets dans les normes qui, tout le monde s'accorde à dire, sont une plaie sauf pour ceux qui les ont - ce n'est pas un problème spécifique aux brevets de logiciel.

Qu'est un brevet au juste ?

Un brevet, à l'origine, est un monopole de durée limitée accordé par l'État à un inventeur en échange de la divulgation de son invention. L'objectif (il y a plus de 200 ans) était d'encourager les inventeurs à faire connaître leurs innovations sans risque pour eux d'être copiés, plutôt qu'elles soient gardées au secret. Pour avoir ce droit, il était (et il est toujours) requis que l'invention soit suffisamment bien décrite dans le brevet pour qu'un "homme du métier" puisse l'exécuter. Aux États-Unis, il est même requis que l'inventeur décrive le "meilleur mode de réalisation".

Le brevet est une exception aux lois anti-monopoles.

Ainsi, le brevet est un droit d'interdire aux autres de faire, utiliser, ou offrir l'invention brevetée pendant 20 ans. Ce droit peut être modéré par le titulaire en accordant des licences d'exploitation à des personnes de son choix. Au bout des vingt ans, le brevet tombe dans le domaine public. Le titulaire n'a alors plus aucun droit.

Un brevet confère une protection fort efficace, car il permet de couvrir un principe technique d'une invention, pas seulement la réalisation elle-même, comme le ferait le droit d'auteur pour un texte. Ainsi, un brevet (s'il est bien fait) peut couvrir des réalisations auxquelles l'inventeur n'avait pas songé au départ, utilisant le même principe.

Les licences de brevet

Un brevet est assimilable à un titre de propriété. Le breveté peut réglementer l'utilisation de l'invention comme il le souhaite : il peut conserver le monopole d'exploitation, vendre son brevet (cession), ou bien le louer (licence).

Si le breveté souhaite conserver le monopole, les lois prévoient que l'exploitation doit être suffisante pour satisfaire les besoins du marché. Si ce n'est pas le cas, tout tiers qui est prêt à exploiter l'invention peut demander à l'État que le breveté lui concède une licence obligatoire dont le prix est à négocier entre le breveté et le tiers.

La plupart du temps, le breveté cherche à concéder des licences plutôt que de conserver le monopole. Les redevances de licence sont normalement négociées pour que le licencié puisse dégager une marge raisonnable. Les redevances sont généralement proportionnelles au chiffre d'affaires généré par la vente du produit. Le taux de redevance varie selon le domaine d'activité entre quelques dixièmes de pour-cent à quelques pour-cent. Ainsi, les redevances ne constituent normalement qu'une part négligeable du prix de vente du produit.

Mais le breveté peut imposer les modalités qu'il souhaite, et certaines peuvent être plus contraignantes, telles que l'imposition d'un minimum annuel à payer (nécessitant une exploitation suffisante par le licencié), le paiement d'un "droit d'accès", ou le versement d'un fixe par produit vendu.

Initiation à l'interprétation d'un brevet

Un brevet comporte une description, des dessins, un abrégé et une revendication. C'est la revendication qui détermine la protection conférée par le brevet. La revendication est une phrase unique qui énumère les caractéristiques essentielles de l'invention (parmi lesquelles on peut trouver des caractéristiques connues).

Pour contrefaire un brevet, il faut en principe reproduire toutes les caractéristiques contenues dans sa revendication. En d'autres termes, on échappe à la contrefaçon si on ne reproduit pas au moins une des caractéristiques.

Il est donc important de bien lire la revendication avant de porter un jugement hâtif sur la portée d'un brevet. Très souvent, les inventions sont de petits perfectionnements et la revendication est limitée à de nombreuses spécificités.

N'attachez surtout pas d'importance à l'abrégé !

Souvent il y a plusieurs revendications. Celles qu'il faut alors considérer sont les revendications "indépendantes" (toutes celles qui ne font pas référence à une autre revendication). Les autres revendications, les "dépendantes", ne constituent qu'une position de repli, au cas où une revendication indépendante serait jugée invalide ultérieurement.

Ceci étant dit, la revendication qui compte est celle qui sera dans le brevet délivré. Il faut savoir que le brevet, avant délivrance, appelé alors "demande de brevet", est publié systématiquement à 18 mois de la date de dépôt par l'Office des brevets. Cette publication contient les revendications initialement tentées par l'inventeur, donc des revendications très larges qui seront probablement limitées (voire rejetées) dans la suite de la procédure. Ce sont ces publications à 18 mois qui sont les plus courantes.

La publication a lieu dans un bulletin hebdomadaire et dans les bases électroniques consultables sur Internet (voir liens ci-dessous). Ces bases contiennent également les brevets délivrés, mais ils sont moins nombreux (tous les brevets déposés ne sont pas forcément délivrés !).

Ainsi, il faut faire attention à ce que l'on lit. Normalement, c'est marqué en première page. On utilise également les codes A, B et C. La publication "A" est celle à 18 mois, la "B" est celle du brevet délivré, et la "C", plus rare, est celle du brevet délivré après une procédure d'opposition (s'il y a une publication "C", c'est celle qui prime).

S'il n'est pas publié à 18 mois avec la demande de brevet, le "Rapport de Recherche" est publié séparément. Il s'agit d'une liste d'antériorités trouvées par l'Office et une classification quant à leur pertinence. Ce rapport peut donner une bonne idée sur la validité de la revendication telle que déposée.

Le système de publication américain est différent (les américains sont toujours différents, mais ils font tout de même un petit effort pour harmoniser leurs lois avec le reste du monde). Aux US, les brevets sont publiés à leur délivrance, ce qui peut avoir lieu plusieurs années après le dépôt. Depuis peu, ils publient également les demandes de brevet US à 18 mois, mais seulement si ces demandes ont également été déposées à l'étranger, où elles seront publiées de toute façon à 18 mois.

Les Offices des brevets, critères de validité et autres garde-fous

Comme j'ai indiqué ci-dessus, toutes les demandes de brevet ne sont pas délivrées. En effet, il y a un ensemble de critères de validité qu'un brevet doit respecter, et ces critères sont contrôlés par les Offices des brevets.

Une vingtaine de pays européens ont ratifié la Convention de Munich qui harmonise les lois quant aux critères de validité d'un brevet. En outre, cette Convention a instauré une procédure commune de délivrance d'un "brevet européen", laquelle procédure est mise en oeuvre depuis 1980 par l'Office Européen des Brevets (OEB). (Les voies nationales restent néanmoins ouvertes en parallèle à ceux qui le souhaitent.) Cette Convention ne traite que de la délivrance des "brevets européens" - elle n'a pas de dispositions spécifiques sur la contrefaçon de ces brevets, la contrefaçon étant traitée par les lois nationales.

Parmi les critères de validité européens, on a :

Ces deux critères sont en fait appliqués pratiquement partout dans le monde, même s'ils n'ont pas le même nom. Il faut également satisfaire d'autres critères sur lesquels je viendrai plus tard.

Au cours de la procédure de délivrance, l'Office émet des objections quant au respect de ces critères, et le demandeur répond en limitant sa revendication ou bien en argumentant que les antériorités ne sont pas pertinentes. En fin de procédure, le demandeur et l'Office tombent d'accord sur une revendication qui est alors délivrée, ou bien la demande de brevet est rejetée.

Il faut savoir que toute cette procédure est accessible au public : à partir de la date de publication toute personne peut inspecter le dossier et consulter notamment les objections et les réponses. Un tiers peut même soumettre des observations et des antériorités non trouvées par l'Office.

L'OEB est en train de rendre les dossiers de procédure accessibles sur Internet. Si tout n'y est pas encore, on peut en tout cas inspecter l'état des dossiers et commander une version papier des pièces des dossiers (liens à la fin de l'article).

Une fois que le brevet est délivré, ce n'est pas tout. A la publication de la délivrance (publication "B"), s'ouvre une période d'opposition de 9 mois au cours de laquelle tout tiers peut s'opposer à la délivrance en soumettant des nouvelles antériorités et/ou de nouveaux arguments. Contrairement au tiers qui soumet des observations comme indiqué plus haut, un opposant est partie à la procédure au même titre que le demandeur (il peut prendre position, faire appel si son opposition est rejetée, etc...).

A la suite d'une opposition, le brevet modifié (s'il est maintenu) est publié à nouveau (publication "C").

Bien, le demandeur a enfin son brevet. Mais il n'a aucune garantie. On peut encore l'annuler devant un tribunal national, soit dans un procès en annulation, soit dans un procès en contrefaçon. Le brevet est alors jugé sous un regard nouveau par une autre juridiction (un tribunal) que celle qui a délivré le brevet (l'Office), selon d'autres pratiques et jurisprudences.

Tout ceci pour dire que le législateur a prévu le fait que des brevets pourraient être délivrés de manière injustifiée, et que ces brevets sont en fait potentiellement nuls. La qualité des brevets délivrés par les Offices repose sur des ressources de plus en plus rares : des examinateurs compétents. Le nombre d'examinateurs à l'OEB augmente moins vite que le nombre de demandes déposées... Jetez un coup d'oeil sur le site de l'OEB susmentionné : ils annoncent 400 postes d'examinateur, ci cela vous tente. La qualité de leur travail n'est plus ce qu'elle était. La conséquence en est que de plus en plus de brevets "bidons" sont délivrés, notamment dans des domaines où la recherche d'antériorité est difficile (les logiciels !). Alors c'est hélas aux tiers et aux tribunaux de compléter le travail.

A noter toutefois que certains pays, comme la France, ont une procédure de délivrance sans examen. En France, l'Office produit un Rapport de Recherche avec une classification des documents quant à leur pertinence, et c'est au demandeur de prendre la responsabilité de limiter sa revendication et de continuer ou non avec son brevet. C'est au tribunal, le cas échéant, que seront étudiés en profondeur les critères de validité. L'inconvénient est bien entendu que de nombreux brevets français sont délivrés avec des revendications sans doute nulles ou du moins mal délimitées, et le lecteur doit étudier le Rapport de Recherche pour évaluer la portée réelle de ces brevets. L'avantage est que la procédure est très économique et accessible à un plus grand nombre d'inventeurs.

Des autres critères de validité, et des logiciels

Aux États-Unis, les critères européens suivants n'ont pas d'équivalents :

Une lecture rapide nous laisse croire que les méthodes mathématiques et les programmes d'ordinateurs sont exclus de la brevetabilité. Néanmoins, le paragraphe 3 de ce même article 52 nous dit :

"Les dispositions du paragraphe 2 n'excluent la brevetabilité des éléments énumérés auxdites dispositions que dans la mesure où ... le brevet européen ne concerne que l'un de ces éléments, considéré en tant que tel."

Maintenant c'est moins clair. Un logiciel que l'on cherche à breveter "en tant que tel" serait exclu. Qu'est un logiciel "en tant que tel" ? Ne cherchez pas à répondre, on a réfléchi longtemps à la question. Il y a de nombreuses décisions de jurisprudence depuis plus d'une décennie. On a vu apparaître l'interprétation que toutes ces exclusions, y compris le défaut d'application industrielle, s'appliquaient à des sujets "non techniques", et qu'une invention devait être considérée comme "une solution technique à un problème technique".

En ce qui concerne les méthodes mathématiques, on a depuis longtemps accepté des brevets sur des algorithmes (de compression, de chiffrement, de correction d'erreurs, etc.), pourtant basés directement sur des formules mathématiques.

Au niveau des revendications, la différence entre les deux côtés de la frontière de l'acceptable peut être infime.

Par exemple une revendication du type "Méthode de compression comprenant les étapes X, Y, Z", où X, Y, Z sont les différentes opérations mathématiques à effectuer dans un flux de données, serait acceptée, alors que la même revendication ne faisant pas allusion à la compression ne serait pas acceptée. Sans la notion de compression, la revendication perd son caractère technique, elle concerne de l'abstrait, une méthode mathématique en tant que telle.

Je pense que cet exemple suffit à dissiper tout doute sur ce que l'on peut breveter dans ce domaine en Europe.

Allez, juste un autre exemple : on a considérée comme brevetable une méthode, dans une interface graphique, consistant à déplacer vers une partie non cachée d'une fenêtre, du texte se trouvant initialement dans une partie cachée par une autre fenêtre.

Jusqu'à deux décisions très récentes, on aurait accepté la revendication de méthode de compression ci-dessus, mais pas une revendication du type "Programme pour mettre en oeuvre une méthode de compression...", car on aurait décidé que cette dernière portait sur un logiciel "en tant que tel". Désormais on accepte aussi une telle revendication, sauf, pour les raisons évoquées plus haut, si on lui enlève la notion de compression, son caractère technique.

On s'aperçoit également que la plupart des brevets de logiciel qui ont été refusés ne l'ont pas été sur la base de l'exclusion des logiciels, mais sur la base d'une autre exclusion, notamment "les méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles". Par exemple, on a refusé une méthode de simplification de texte consistant à remplacer des mots complexes par des mots plus simples, en soutenant que c'est une activité que l'Homme ferait avec un papier et un crayon. (La chambre de recours a peut-être utilisé cet argument à défaut de pouvoir prouver que cela a déjà été fait à la main - parce que faire par logiciel ce que l'on faisait à la main serait dénué de nouveauté.)

En conclusion, il faut noter que les logiciels ont été brevetés en Europe depuis longtemps.

Pour clarifier la situation, on a proposé récemment de supprimer ces exclusions de l'article 52, et d'y ajouter que les brevets sont délivrés pour des inventions "dans tous les domaines de la technologie", en soutenant que cette précision rend inutile la citation explicite des exclusions, qui concernaient justement des sujets hors des "domaines de la technologie".

Il faut noter qu'il s'agit d'une révision qui ne changerait pas la situation.

Et c'est là que la communauté des logiciels libres soudain se réveille et proteste. Mais ce n'est pas maintenant que les logiciels deviennent soudain brevetables en Europe, ils l'étaient déjà il y a près de quinze ans ! Ce n'est pas à partir de maintenant qu'un logiciel risque de contrefaire un brevet en Europe, il le risquait déjà depuis longtemps.

Mais on peut certes profiter de cette proposition de révision pour remettre sur le tapis les problèmes liés aux logiciels et essayer de trouver une législation qui leur est plus adaptée, notamment aux logiciels libres qui constituent un système économique à part.

Quelques notions sur la contrefaçon

Tout d'abord, pour que l'on puisse parler de contrefaçon dans un pays, il faut qu'un brevet ait été déposé dans ce pays. En Europe, il faut que le brevet européen délivré ait été validé dans le pays en question. S'il n'y a pas de brevet dans un pays, on est libre d'utiliser l'invention dans ce pays.

Comme j'ai expliqué plus haut, la condition de départ pour contrefaire un brevet est la reproduction de toutes les caractéristiques énumérées dans sa revendication. Il faut ici remarquer que les caractéristiques d'une revendication portant sur un algorithme peuvent être reproduites par du logiciel, par du matériel, ou par une combinaison des deux. L'acte de contrefaçon que l'on peut attaquer est la fabrication, la vente, l'utilisation ou l'offre d'utilisation de l'invention brevetée.

Il y a également un acte de contrefaçon appelé "fourniture de moyens". Il s'agit, par exemple, de vendre en kit une invention brevetée - ce n'est pas le vendeur mais l'acheteur final qui va fabriquer et utiliser l'invention brevetée. Mais c'est le vendeur qu'on pourra attaquer en contrefaçon. La distribution du code source d'un logiciel peut sans doute être considérée comme un acte de "fourniture de moyens", si ce logiciel est destiné à mettre en oeuvre un procédé breveté.

Une demande de brevet offre une "protection provisoire" dès sa publication. C'est-à-dire qu'on pourra déjà la faire valoir, même si sa revendication n'en est pas à sa version définitive. (Mais dans ce cas les tribunaux sont souvent réticents et attendront la délivrance avant de statuer.)

Ainsi, dès qu'une demande de brevet est publiée, on peut en être contrefacteur, même si on n'en connaît pas l'existence. Il n'y a pas d'exigence de "connaissance de cause" pour la contrefaçon. La contrefaçon de brevet est une affaire de responsabilité civile. C'est comme si vous marchiez dans une propriété privée non délimitée et que le propriétaire vous demande de sortir (et de rembourser ce que vous y auriez abîmé). On ne va pas en prison pour contrefaçon de brevet.

Le breveté pourra interdire la poursuite de la contrefaçon et, selon la nature de celle-ci, demander des dommages et intérêts pour le préjudice ou manque à gagner occasionné par cette contrefaçon. Dans le cas de l'offre d'un procédé ou de la fourniture de moyens (les logiciels), le breveté ne pourra demander des dommages et intérêts que s'il prouve que la contrefaçon était de mauvaise foi (ou en connaissance de cause).

En Europe, les dommages et intérêts sont destinés à rembourser le préjudice subi et rien que le préjudice, que la contrefaçon soit en connaissance de cause ou non. Aux US, au contraire, un contrefacteur de mauvaise foi peut devoir payer des dommages et intérêts fortement majorés. En tout cas, le breveté doit apporter la preuve du préjudice, par exemple sous la forme de ventes qu'il n'aurait pu réaliser du fait de l'existence de la contrefaçon - il arrive qu'il n'y parvienne pas, auquel cas le contrefacteur doit simplement verser une somme équivalente à une licence pour les produits qu'il a vendus.

Il y a des actes qui ne sont pas considérés comme une contrefaçon en France et dans de nombreux autres pays (mais pas aux US, vous l'aurez deviné...) :

La situation de la contrefaçon pour les logiciels

A ma connaissance, il n'y a pas eu de procès en contrefaçon de brevet de logiciel en Europe. On ne sait pas comment un tel brevet serait interprété par les tribunaux, ni à quels actes il s'appliquerait. Les tribunaux ont leurs propres convictions et pratiques et ne sont pas liés par les décisions des Offices. Il faut au moins quelques décisions en appel dans un même sens pour tenter de deviner une tendance... Il faut attendre.

Il y a certes eu des menaces, mais aucun passage à l'acte. Les menaces sont monnaie courante. Elles servent souvent à intimider des petites entreprises mal renseignées. Mais quand il s'agit de passer à l'acte, le breveté préfère avoir une bonne chance de tirer le gros lot en dommages et intérêts. Il ne s'attaquera pas à une petite entreprise incapable de payer, et encore moins à un individu, sauf si son logiciel lui prend une part importante de marché et qu'il se contenterait d'une interdiction.

En principe, que le logiciel soit distribué à titre onéreux ou gratuitement, sous forme binaire ou de code source, importe peu pour la contrefaçon. Sous la forme de code source, il s'agit de fourniture de moyens. Le prix du logiciel n'intervient pas, puisque les dommages et intérêts dépendent du manque à gagner par le breveté.

Certains soutiennent que le code source est assimilable à de la parole, et de ce fait sa distribution inattaquable au titre de la liberté d'expression. Je crains que ce ne serait pas l'opinion des tribunaux. Le tribunal étudiera certainement l'intention de la distribution du code. S'il existe un compilateur ou un outil de transcription pour un compilateur, il y aura contrefaçon. S'il n'y a pas de compilateur, même si le texte est facilement traduisible en code source pour un compilateur existant, il n'y aura pas contrefaçon. La limite est ténue, mais apparemment facile à définir. Maintenant, si le logiciel est gratuit et son code source librement distribuable, on peut tenter de soutenir qu'il s'agit d'une utilisation dans un but d'expérimental et que seuls seraient contrefacteurs ceux qui utiliseraient le logiciel dans un but commercial.

Problèmes liés aux logiciels et solutions envisageables

Les logiciels sont tout de même un domaine très particulier. Ils sont immatériels, reproductibles à l'infini à coût quasi nul. Les brevets ont vu leur naissance au temps des inventions de mécanique, bien tangibles et visibles. Et voilà que les brevets protègent de l'immatériel.

En mécanique, chimie ou électronique, il faut produire des objets matériels et donc avoir fait un lourd investissement en outils de production et en infrastructure. Les entreprises dans ces domaines doivent nécessairement vendre leurs produits et en tirer un bénéfice. Elles peuvent alors se permettre d'utiliser un brevet et de payer une licence.

Pour produire des logiciels, il suffit d'un ordinateur et d'un réseau de distribution de coût minime (un site Internet). Ensuite, les logiciels sont distribués à coût nul pour l'éditeur à quiconque les télécharge. Et voilà que même le particulier peut devenir contrefacteur. Est-ce normal ? Peut-être. La protection de la vie privée ne marche pas, parce qu'on sort du cadre privé dès que le logiciel est téléchargeable par n'importe qui.

Si un logiciel est vendu, je ne trouve pas choquant qu'on puisse demander à l'éditeur de payer une licence de brevet, comme pour tout autre produit vendu.

Mais qu'en est-il si le logiciel est distribué gratuitement ? Le breveté ne peut plus espérer des revenus de licence proportionnelle. Alors il tendra à appliquer une redevance fixe par logiciel distribué, ou un "droit d'accès" forfaitaire. Mais c'est contraire à la volonté de l'auteur du logiciel : le logiciel ne peut plus être gratuit.

Il y a là une incohérence à traiter. Cette incohérence provient du nouveau système économique des logiciels libres qui n'a pas été pris en compte dans la législation. Elle ne provient pas spécifiquement de la brevetabilité des logiciels, qui ne devrait pas poser de problèmes différents de ceux des autres domaines dans une économie traditionnelle.

Cerise sur le gâteau, il est extrêmement facile de détecter une contrefaçon dans un logiciel libre, puisqu'il suffit d'étudier son code source, alors qu'il est impossible de détecter en toute légalité une contrefaçon dans un logiciel propriétaire en étudiant son code binaire, puisque la décompilation est interdite (sauf pour des besoins d'interfaçage en Europe). Encore une situation incohérente.

Je pense que la solution à chercher pour les logiciels libres ne se situe pas dans les critères de validité d'un brevet, mais dans les exceptions à la contrefaçon qui se trouvent dans les lois nationales.

A mon avis (mais ce n'est qu'un avis non testé en justice), avec les lois telles qu'elles sont dans les pays européens, on peut déjà soutenir qu'un logiciel libre est utilisé à titre expérimental par une communauté de testeurs et développeurs distribués. Le statut d'expérimental se justifie par la gratuité et la disponibilité des codes source.

Si on parvient à obtenir des jurisprudences dans ce sens, ou une clarification des lois, les logiciels libres pourraient être distribués sans encombre.

Néanmoins, celui qui utiliserait le logiciel dans un but commercial risquerait d'échapper à l'exception d'usage à titre expérimental... Dans ce cas, on pourrait tenter de satisfaire le breveté en trouvant un système assurant sa rémunération par l'utilisateur (cette rémunération serait modique, sans commune mesure avec le prix d'un logiciel commercial). Mais cette façon de procéder serait incompatible avec les logiciels distribués sous la GPL, puisque de tels logiciels doivent être libres de droits de brevets. Si un logiciel sous la GPL se trouvait ainsi en conflit avec un brevet, il faudrait que l'auteur change la licence du logiciel.

En tout cas, s'il faut empêcher que les brevets couvrent des logiciels, on ne peut le faire au niveau des critères de brevetabilité. En effet, la plupart du temps on ne peut pas savoir si un brevet porte ou non sur un logiciel. Si un algorithme est protégé sous la forme d'une revendication de méthode, le brevet couvre une réalisation purement matérielle, ou une réalisation purement logicielle, ou une combinaison des deux. S'il faut que la loi exclue l'une de ces réalisations, elle ne peut le faire lors de la délivrance du brevet, puisqu'on ne peut pas savoir à ce moment là, à partir du brevet et de ses revendications, comment sera finalement mise en pratique l'invention. Ce n'est qu'en observant la réalisation finale, au moment d'évaluer une contrefaçon, qu'on connaîtra sa véritable nature. Ainsi, il faudrait rajouter les logiciels aux exclusions des actes de contrefaçon, comme l'usage à titre expérimental, ou l'usage privé et à titre non commercial.

Paradoxe

Un brevet doit décrire l'invention de manière suffisante pour que l'homme du métier puisse la réaliser. Dans une description de brevet de logiciel, on trouve souvent quelques lignes de code compilable, représentant le coeur de l'invention.

Les brevets sont prévus pour être divulgués. L'Office des brevets les publie sous forme papier et électronique.

Suis-je contrefacteur si je copie la version électronique du brevet et la rends disponible sur mon site Internet ? Pourtant, un morceau de ce texte qu'il me suffit de copier-coller est directement compilable pour générer un binaire qui reproduirait les caractéristiques de la revendication du brevet...

Encore mieux : l'Office est-il contrefacteur ?

Je pense que dans cette situation les tribunaux étudieraient attentivement l'intention de la distribution. Si la distribution est à titre informatif, il n'y aurait pas de problème. Si la distribution est effectuée de manière que l'utilisateur puisse facilement compiler le code, il pourrait y avoir contrefaçon.

Mais où est la limite ?

Ainsi, déposons un brevet de logiciel avec les lignes nécessaires en code compilable, et fournissons dans ce brevet toutes les informations requises pour générer un binaire entièrement fonctionnel. Attendons la publication de la demande de brevet, et attaquons l'Office en contrefaçon.

Il n'est même pas nécessaire que l'invention satisfasse aux critères de validité, puisque la procédure d'examen ne commence qu'après la première publication et que l'on bénéficie de la protection provisoire à compter de la publication.

La décision de justice serait bien sûr en faveur de l'Office, mais il serait intéressant d'en voir l'argumentation.

Cassons du brevet

Un brevet vous gêne ? Surtout un brevet US ?

Il y a un moyen simple pour vérifier la validité d'un brevet US. Si l'invention a été considérée comme importante par son titulaire, il est probable que le brevet ait été déposé également en Europe. Cherchez le brevet par son numéro US sur Espacenet. Cliquez sur la version EP, si elle existe, puis cliquez sur SR ("Search Report"). Et là vous aurez le Rapport de Recherche européen qui est généralement mieux fait que l'américain (pour les logiciels, je ne suis pas sûr). Avec un peu de chance, il citera des documents avec la classification "X" (destructeur de nouveauté) ou "Y" (destructeur d'activité inventive avec un autre document "Y"), qui n'avaient pas été cités dans la procédure américaine et qui peuvent invalider le brevet US. Gardez ces documents au chaud au cas où le breveté viendrait vous chercher des noises, et attendez de voir ce qui advient de la demande de brevet européen.

Consultez également le Registre de l'OEB, qui indique les étapes de procédure (rapports d'examen, réponses par le titulaire, observations de tiers, abandon...). Incidemment, en consultant ce Registre, j'ai vu que la demande de brevet "One-Click" de Amazon (EP0902381) a été abandonnée à la suite d'un premier rapport d'examen et des observations de tiers...

Regardez la procédure japonaise s'il y a une demande de brevet japonais (les examinateurs japonais trouvent souvent des documents japonais très pertinents non traduits).

Liens utiles

Jean-Jacques de Jong - 19/03/2002